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Rencontre avec Carine Aymard

Rencontre avec Carine Aymard, commissaire- priseur associée à Cannes- Enchères.

(compte- rendu réalisé par la classe de 2nde7).

 

 

Qui n'a pas rêvé de tomber, au hasard d’une flânerie dans quelque obscure salle de vente, sur un objet étrange, bijou fascinant ou trésor fabuleux qui nous parle à l’oreille d’un passé qui n’est plus ? Cette plongée dans le monde mystérieux de la poésie des choses ramène à la surface un peu trop lisse de notre époque des vestiges parvenus on ne sait comment à résister au temps. Rebutés par les uns, qui les considèrent au mieux comme une possibilité inattendue de gain, « encombrants » pour les autres, qui voulaient faire table rase de leurs souvenirs surannés et prendre un nouveau départ, ils ont pour qui sait les voir un charme incomparable et subtil.

 

Dans le cadre de l’Accompagnement personnalisé, la classe de 2nde7 a rencontré Carine Aymard, commissaire-priseur associée à Cannes-Enchères. Cette jeune femme recherchait un métier lié à l’art. Après six années d’études, des examens d’aptitude et l’expérience acquise en tant que clerc, elle est depuis 2 ans commissaire- priseur, pratiquant la vente volontaire (80 % de son activité) et judiciaire. Arriver à ce poste convoité est un véritable parcours du combattant : d’abord, pour présenter l’examen de commissaire-priseur, il faut suivre un double cursus en droit et en art (bac + 5) ou avoir effectué sept années de cléricature. Une fois cette étape franchie, les candidats effectuent un stage de deux ans assorti de deux nouveaux examens. Ils sont alors habilités à effectuer des ventes d’objets et meubles confiés par des particuliers qu’on appelle « vente volontaire ». Un autre examen d’aptitude permet de diriger des ventes sous l’autorité du ministère de la justice, dites « judiciaires », suite par exemple à des successions ou des mises sous tutelles.

 

 Les enchères : de la machine à laver au buste de Rodin.

 

Un commissaire- priseur n'a pas seulement à vendre. Il est d’abord un expert. À ce titre, il est chargé d’authentifier les objets qui peuvent être vendus. Le jeudi est la journée d’expertise de C. Aymard : les particuliers lui apportent des objets, des photos et, après un examen minutieux et quelques recherches, elle établit un mandat de vente et propose une première estimation. Les objets pourront alors être vendus dans une vente courante, le mardi, ou dans une vente à thème. Le commissaire-priseur est rémunéré par des commissions qu’il touche sur la vente, mais aussi sur l’achat des objets. L’aspect rémunérateur n’est pas indifférent à notre commissaire-priseur qui voulait un métier artistique, mais aussi « rentable ». Les objets vendus aux enchères couvrent un large empan spatial et temporel. Ils requièrent donc de vastes connaissances et le recours à un expert est indispensable pour estimer des articles aussi délicats que des céramiques chinoises du 4è siècle. Quelle joie de découvrir certains objets, ayant miraculeusement traversé le temps intacts — telle une fine de cognac à 5 000 euros ou une malle Vuitton ayant voyagé sur les paquebots dans les « folles » années 20 ! Les connaissances de C. Aymard se sont affinées au fil du temps : elle est désormais plus à même de distinguer un vrai d’un faux bien imité, de discerner ce qui a été restauré de l’objet encore « dans son jus ». « Mais, ajoute-t-elle, les pièges sont très nombreux ». Qu’a-t-on le droit de vendre ? Les questions de la classe n’ont pas manqué, des tableaux faux aux animaux morts, vivants... Notre commissaire n’a pas pu vendre la tête réduite d’un homme décapité par des Mohicans au 19è siècle !

 

« Drouot ».

Lors des enchères hebdomadaires, le lundi, les objets présentés au public sont très hétéroclites. Dans une salle remplie de brocanteurs et d’habitués, où « bourdonne une foule fiévreuse et impatiente », le commissaire-priseur donne de la voix, « fait l’article », mène rondement les enchères, enchérit au besoin, le téléphone en main, pour un client lointain, tout en freinant les « acheteurs compulsifs », mauvais payeurs qui vont compliquer son travail. Bientôt la vente bat son plein, les mains se lèvent, certains acheteurs se contentant de petits signes voire de simples hochements de tête et c’est au commissaire-priseur d’interpréter justement ces « codes ». Le spectacle est dans la salle, avec les « mauvais joueurs » qui tentent d’intimider le voisin qui enchérit, les frictions... « On est un peu au théâtre », reconnaît C. Aymard. L’atmosphère est plus feutrée dans les ventes à thème, auxquelles assiste un public de spécialistes. Les prix peuvent alors monter. C. Aymard se souvient de la vente d’un tableau de Nicolas de Staël, envolé à 400 000 euros et, plus récemment, d’un bronze de Rodin raflé à 310 000 euros.

 

Le revers de la médaille.

Mais lorsqu’on est propriétaire-associé d’une étude, la tâche est lourde et les responsabilités parfois écrasantes. Cannes-Enchères, ce sont sept personnes : trois associés-propriétaires, une secrétaire, deux clercs, un garçon de salle. Ce sont aussi 70 ventes par an, 500 objets par vente, beaucoup, beaucoup d’inventaires et des journées de 10 à 15 h. Financièrement, les dépenses de fonctionnement (coût des catalogues, de la publicité, du stockage…) s’élèvent à 1 million d’euros par an – plusieurs millions dans d’autres études- tandis que les associés doivent par ailleurs rembourser l’étude (de 350 000  à un ou deux millions d’euros). De son côté, la pratique judiciaire est coûteuse en temps, en procédures… et parfois en procès. Tout cela n’a pas empêché Carine Aymard de se découvrir une nouvelle passion : deux fois par an, elle organise des ventes pour la mode vintage. Elle est aussi incollable sur les marques de vêtements que sur les peintres modernes.

 

Si comme ce jeune homme en délicatesse avec la vie, vous êtes entré, plus par désœuvrement que par goût des objets dans un « cabinet » d’antiquités, attiré par « un tableau confus dans lequel toutes les œuvres humaines et divines se heurtaient », n’allez pas commettre l’irréparable. Sur un marché de l’emploi où les perspectives se réduisent comme une « peau de chagrin », il reste peut-être un espoir. En effet, inévitablement, beaucoup de commissaires-priseurs — « êtres bizarres qui servent de types aux artistes quand ils veulent représenter Moïse » — vont partir à la retraite. Si vous avez, comme Carine Aymard, le goût des objets et des gens, le sens du commerce et celui de lancer des paris, ce métier est peut-être pour vous : « Une fois, deux fois, trois fois… » ? De plus, sa dimension sociale n’est pas à négliger, et, pour ne citer qu’un exemple, le commissaire-priseur retrouve les aspects les plus sombres de la « Comédie humaine » dans les cas où il doit protéger les majeurs incapables contre la rapacité de leurs proches, étant ainsi, à sa façon, le « secrétaire des mœurs » du passé, mais aussi du présent.